Buddha paré

Numéro d’inventaire : 70.2.4 (Achat)
Date de création : Epoque Pala (IXe siècle)
Lieu de création : Bihar (Inde)
Matière et technique : Schiste bleu sculpté
Dimensions (H x L) : 57 x 41 cm

Ce Buddha, contrairement aux apparences, n’est pas une statue, mais un haut relief dépendant d’une stèle dont le fond reste visible près du visage et sous le bras. Il mesure 57 cm de hauteur et a été sculpté au IXe siècle de notre ère dans le Bihār un État de l’Inde du Nord-Est. Coiffé d’une tiare et d’un lourd collier, il appartient à un type auquel nous sommes peu habitués, un type qui est contraire aux représentations à caractère dépouillé de l’Éveillé. Ce type est celui du « Buddha paré ».

L’image du « Buddha paré » a été élaborée par les artistes afin de concrétiser une conception complexe née tardivement au sein des écoles Mahāyāna du Bengale et du Bihār : celle du triple corps ou Trikāya. Il faut souligner par ailleurs que la parure qu’arbore Buddha n’est pas la parure de Monsieur-tout-le-monde : c’est bien plutôt celle d’un roi, et elle a un sens puisqu’elle fait de Buddha le Chakravartin ou monarque universel… Mais il importe, avant de continuer, d’expliquer un peu ces notions subtiles.

Le point du vue adopté par le Bouddhisme du Grand Véhicule ou Mahāyāna est que le Buddha était un être éveillé avant même de prendre forme humaine. Par conséquent, le Buddha historique connu sous le nom de Sakyamuni, n’est pas le seul Buddha, d’autres sont apparus avant lui et apparaîtront après lui. Le Buddha historique devient alors une des nombreuses manifestations de l’esprit dans sa dimension fondamentale et ultime. De cela le Mahāyāna a fait découler le concept des « trois corps » de l’Éveil Trikāya (kaya en sanscrit signifie « corps »), c’est-à-dire les trois aspects, les trois dimensions d’une même réalité essentielle.

Dans le cas du « Buste de Buddha paré » du Musée Georges-Labit, c’est la deuxième dimension de cette bouddhéité qui est représentée, celle qu’on appelle le sambhogakāya et qui est, pour résumer, la manifestation symbolique du « corps absolu » du Buddha sous l’apparence des divinités. Plus précisément, le sambhogakāya de Buddha est un corps de félicité, un corps de (ré)jouissance faisant référence au lumineux. Ce corps apparaît depuis le royaume extra-cosmique d’Akanistha à ceux qui ont une pratique très élevée comme les lamas, les yogis tibétains et autres bouddhistes hautement réalisés, pour leur transmettre directement la doctrine, car il est aussi intimement associé à la parole du Buddha.

Nous venons de parler de royaume (extra-cosmique), et cela rejoint le chakravartin ou monarque universel. Le mot qui signifie en sanscrit « celui qui tourne la roue » et en tibétain « monarque qui gouverne au moyen d’une roue », implique l’idée d’un monarque universel régissant l’ensemble du monde par sa sagesse et sa vertu et exerçant une souveraineté à la fois temporelle et spirituelle.

Le « Buddha paré » du Musée Georges-Labit qui symbolise tout cela, se présente dans une douce frontalité, qui, associée à la ligne allongée du corps, lui donne une grâce hiératique. Son visage un peu large, souriant, aux yeux baissés et étirés vers les tempes exprime le recueillement.

Lorsque Buddha est figuré dans son corps de félicité et en roi universel comme c’est le cas ici, l’art indien le représente toujours avec un ou plusieurs des trente-deux signes physiques distinctifs qui lui sont propres. Parmi ces signes majeurs, on remarque les trois plis du cou (trivali). On peut supposer que l’urna, ce petit cercle entre les sourcils qui matérialise en sculpture la touffe de cheveux, a existé avant qu’un accident n’arrache la zone centrale du visage.

Le roi universel est coiffé d’une tiare ouvragée, la kirîta, très proche dans sa forme de la tiare à diadème kirîta-mukuta portée par le dieu Vishnu. La tiare de Buddha est haute et cache de ce fait la protubérance crânienne ou ushnisha qui est probablement le plus étonnant de tous les signes majeurs de son corps physique, et celui dont nous tenons à rappeler l’omniprésence dans l’iconographie du bienheureux en ascète. On distingue sur cette tiare trois pointes dont une pointe axiale en triangle chargée en son centre d’une pierre ronde taillée en forme de fleur. Quatre fleurons encadrent le visage : deux au-dessus des oreilles, et deux autres au niveau des lobes d’oreilles.

Un collier élaboré orne la poitrine du Buddha. Son motif central ou pendentif, dont le dessin complexe est rendu avec une grande finesse de détails, ne va pas sans rappeler les bijoux en or travaillés au repoussé que les orfèvres indiens traditionnels destinent toujours aux hommes de la noblesse. Ce motif central est retenu par un cordon qu’agrémentent des perlages. Une frange de pierres précieuses telles des pampilles, orne le pourtour inférieur du collier.

Sur l’épaule gauche de Buddha descend la plicature cannelée du pan de la samghāti, son manteau monastique.

Le style du « buste de Buddha paré » appartient à l’art Pāla, nom donné à la dernière école de sculpture bouddhique en Inde qui se développa entre les VIIIe et XIIe siècles sous l’impulsion de la célèbre université de Nālandā au Bengale et que protégèrent les princes Pāla. Dans un contexte devenant de plus en plus défavorable à cette religion, Nālandā « La Cité monastique », fut un grand centre d’études du bouddhisme Mahāyāna et Vajrayāna et aida au développement d’ateliers artistiques.

Le « buste » du Musée a été sculpté au IXe siècle, lorsque la dynastie Pāla était à son apogée. On voit comment quatre siècles après l’âge d’or artistique Gupta en Inde du Nord (300 – 480 de n.è.) l’art Pāla avait su garder l’élégance de la forme et la richesse du détail de ce style unique et sophistiqué. L’influence Gupta se retrouve en effet dans les détails des parties du visage, de la coiffure, des bijoux du Buddha, sculptés très précisément et contrastant agréablement avec les plans lisses, massifs et simplifiés du corps. Elle s’exprime enfin dans le style méditatif calme et majestueux du bienheureux Buddha qui communique remarquablement son état spirituel.

Marielle Nicéphor (bibl. :  Violette Fris-Larrouy, Les collections du musée Georges-Labit, 1997)

[Cliché Daniel Molinier]

Buddha paré