Par Clément Holé, doctorant du Centre d’Élaboration de Matériaux et d’Etudes Structurales (CEMES-CNRS)

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En explorant les collections de céramiques chinoises du Musée Georges Labit, la variété des couleurs et des formes de ces objets attire l’œil et invite à la contemplation. Parmi ces objets d’époques diverses, ceux fabriqués sous la dynastie des Song (960-1279) brillent par leur sobriété et la profondeur de leur glaçure, fine couche vitrifiée à la surface des céramiques qui leur confère leur brillance et leur imperméabilité [1] (cf. Figure 1).

Figure 1 – A gauche : photographie d’une coupe à bord godronné à glaçure vert-olive, four de Yaozhou (Shaanxi) ; à droite : photographie d’un bol à glaçure céladon, fours de Longquan (Zhejiang)

Particulièrement célèbres pour leurs glaçures monochromes, les artisans de cette période ont perfectionné leurs techniques de cuisson pour qu’elles dessinent spontanément sur les glaçures des ornements subtils comme de fines craquelures ou des tâches colorées irrégulières. Ce genre de motifs était très apprécié par les connaisseurs Song, car il représentait la sublimation du travail de l’artisan par la nature, sans aucun artifice, ce qui constituait le centre de leurs considérations esthétiques [2].

Les glaçures noires et brunes utilisées pour boire le thé correspondent parfaitement à cette philosophie avec leurs coulures et autres tâches brunes réparties aléatoirement sur leur surface (cf. Figure 2). Elles étaient fabriquées dans de nombreux fours à travers les différentes provinces de la Chine, comme ceux de Jian (Fujian), Jizhou (Jiangxi), Yaozhou (Shaanxi) ou Cizhou (Hebei) et appréciées par les nombreuses catégories de la population consommatrices de thé de l’époque, des moines bouddhistes et responsables d’auberges ou maisons de thé aux lettrés. Leur appréciation atteignit jusqu’à la classe impériale, avec par exemple l’empereur Huizong (règne : 1100 – 1126) qui vanta leurs mérites dans son traité sur le thé écrit en 1107 (Dà Guān Chá Lùn) [3].

Figure 2 – A gauche : photographie d’un bol à glaçure dite « fourrure de lièvre », fours de Jian (Fujian) ; à droite : photographie d’un bol à glaçure dite « écaille de tortue », fours de Jizhou (Jiangxi)

Ces motifs bruns sur fond noir sont dus à la présence de petits cristaux microscopiques d’oxyde ferrique. Ces cristaux avaient initialement été identifiés comme un mélange de cristaux d’hématite (αFe2O3) et de maghémite (γFe2O3) [4], les oxydes les plus communs de cette famille. Cependant, des recherches plus récentes menées avec des outils d’analyse plus performants ont montré qu’il s’agit en réalité d’un oxyde ferrique intermédiaire beaucoup plus rare : la phase epsilon (εFe2O3) [5]. Depuis cette découverte, de nombreuses autres études menées sur les glaçures noires et brunes de provenances diverses fabriquées sous les Song ont révélé que les motifs bruns contiennent tous cet oxyde rare le plus souvent seul et pur, parfois en mélange avec de l’hématite [6–9].

Afin d’apporter sa contribution à de telles études, le musée Georges Labit a accepté de confier deux bols (cf. Figure 2) pour une journée au CEMES, le Centre d’Élaboration de Matériaux et d’Etudes Structurales, laboratoire du CNRS, dans le cadre d’une thèse sur l’étude des glaçures brunes et noires de la dynastie Song. L’étude a été effectuée par spectroscopie Raman, une technique d’analyse de surface non-invasive (cf. Figure 3).

Figure 3 – A gauche : photographie du dispositif expérimental : spectromètre Raman T64000 de Jobin-Yvon/Horiba ; au centre : détail du dispositif expérimental pendant l’analyse du bol à glaçure dite « fourrure de lièvre » (haut) et zones analysées du bol à glaçure dite « écaille de tortue » (bas) ; à droite : exemples de spectres Raman mesurés dans une zone brune et une zone noire

Les résultats de cette étude ont révélé la présence de phase epsilon sur la glaçure dite « fourrure de lièvre » et sur les zones brunes de celle dite « écaille de tortue », comme le montre le spectre marron de la Figure 3 dont les pics sont tous caractéristiques de cet oxyde [5]. Au contraire, cet oxyde n’est pas présent dans des zones noires comme le montre l’absence de tels pics dans le spectre noir. Elle confirme ainsi l’omniprésence de cette phase sur les production de Jian, mais la détecte également sur celles de Jizhou qui ont été très peu étudiées de cette manière.

Ce projet n’aurait pas été possible sans l’investissement de Marie-Pierre Chaumet, responsable des collections objets des musées Paul Dupuy et Georges Labit et Sébastien Moyano, assistant-ingénieur en instrumentation au service optique du CEMES – CNRS. Il a été réalisé dans la cadre de la thèse de Clément Holé, encadrée par Philippe Sciau (CEMES – CNRS) et Sophie Duhem (Framespa – UT2J).

Clément Holé

Notes

[1] A. Brongniart, Traité des Arts Céramiques ou des Poteries considérées dans leur histoire, leur pratique et leur théorie, Béchet jeune et Mathias Augustin, Paris, 1844.

[2] K. Ma, A Cup of Imperial Taste: The Formation of Ceramic Aesthetics under Emperor Huizong (r. 1100-1126), College of William and Mary, 2017.

[3] M. Huang, « Traduction du Dà Guān Chá Lùn de l’empereur Huīzōng (1107) », Global Tea Hut. 51 (2016) 35–48.

[4] W. Li, H. Luo, J. Li, J. Li, J. Guo, « Studies on the microstructure of the black-glazed bowl sherds excavated from the Jian kiln site of ancient China », Ceramics International. 34 (2008) 1473–1480. https://doi.org/10.1016/j.ceramint.2007.04.004.

[5] C. Dejoie, P. Sciau, W. Li, L. Noé, A. Mehta, K. Chen, H. Luo, M. Kunz, N. Tamura, Z. Liu, « Learning from the past: Rare ε-Fe2O3 in the ancient black-glazed Jian (Tenmoku) wares », Sci Rep. 4 (2015) 4941. https://doi.org/10.1038/srep04941.

[6] R. Wen, D. Wang, L. Wang, Y. Dang, « The colouring mechanism of the Brown glaze porcelain of the Yaozhou Kiln in the Northern Song Dynasty », Ceramics International. 45 (2019) 10589–10595. https://doi.org/10.1016/j.ceramint.2019.02.125.

[7] M. Wang, T. Wang, F. Wang, C. Hole, J. Cao, J. Zhu, P. Zhang, P. Shi, P. Sciau, Raman study of rusty oil spotted glaze produced in Linfen kilns (Shanxi province, AD 1115–1368), J. Raman Spectrosc. (2021) jrs.6229. https://doi.org/10.1002/jrs.6229.

[8] P. Sciau, C. Brouca-Cabarrecq, A. Pinto, « Les glaçures de céramiques chinoises colorées au fer : un matériau historique à fort potentiel en science de la matière ? », techne. (2019) 144–149. https://doi.org/10.4000/techne.1619.

[9] Q. Hoo, Y. Liang, X. Yan, X. Wang, T. Cao, X. Cao, « Millimeter-sized flower-like clusters composed of mullite and ε-Fe2O3 on the Hare’s Fur Jian Ware », Journal of the European Ceramic Society. 40 (2020) 4340–4347. https://doi.org/10.1016/j.jeurceramsoc.2020.04.032.